J'ai décroché mon premier job par hasard. Rentrée de vacances, je téléphone à une amie, vous savez, une de celles que je vois ou entends une fois tous les deux ans et nous nous retrouvons comme toujours, sans masques ni barrières, une de ces rares amies qui sait les choses sans explications superflues. Elle me demande ce que je fais.
-Ben je commence à chercher du travail.
-Mais
Delphine, je quitte le mien et ils souhaitent me remplacer. Si tu veux, envoie ton
CV!
Quelques jours plus tard, me voilà un peu intimidée dans la salle d'attente, serrée dans un petit tailleur "professionnel", riche des conseils de papa et une vague idée de salaire en tête.
-Vous avez fait des études de Lettres, vous apprenez à rédiger des courriers, c'est ça? Me demande
PC encore plus intimidé que moi (il faut dire que mon amie n'avait pas lésiné sur les compliments).
-Euh, non pas vraiment...
dis-je en masquant un sourire. N'oublions pas qu'en
Belgique on parle de philologie et non de Lettres, ce qui peut expliquer la méprise de mon futur Boss.
-Pourquoi vouloir travailler ici? Vous n'allez pas vous ennuyer?
-
Oooh non, je vous assure, j'ai tout à apprendre.
Tu parles Charles, je suis restée 11 mois.
-Et vos connaissances en informatique?
-J'ai une bonne maîtrise des logiciels de bureau (j'utilisais l'ordinateur comme une machine à écrire et encore
fallait-il m'ouvrir le programme -ne vous moquez pas, début des années nonante (souriez amis Français, c'est du belge), c'était la préhistoire des programmes grand public.)
Oui mais quand on est responsable de la communication et qu'on gère le site internet ainsi que la
Newsletter et toutes les brochures commerciales et techniques, c'est un peu limite! Mettant mon orgueil en poche, je commence donc par suivre une formation d'un logiciel de
PAO, généreusement offerte par mon nouvel employeur.
PC, mon patron, est le Directeur du Marketing. Sans diplôme, il a démarré comme magasinier et a très vite évolué dans cette petite structure ouverte aux suggestions. Nous partageons le même bureau. C'est l'occasion pour lui de m'enseigner le métier, de me dévoiler le marché, la concurrence, la politique des prix, la gestion des partenariats, les budgets, les enquêtes, la présence stratégique à de grandes foires, le choix d'un stand qui cadre avec notre image etc. Il aime répéter que le Marketing c'est du "
gezond boereverstand" (du bon sens paysan). Il me pose beaucoup de questions concernant l'art, la musique, la philo, la religion. On collabore bien, nos discussions sont ponctuées d'éclats de rire, ce qui provoque quelques grimaces chez certains collègues très sérieux qui confondent bonne humeur et manque d'efficacité. Très vite, on nous appelle le Club
Med, ce que nous avons fini par revendiquer sans honte, les résultats étant bien là! Filiale d'une boîte française leader sur le marché, on ne regarde pas trop à la dépense; il faut être des pionniers, des précurseurs inventifs, tant pis pour le prix à payer. Je me rappelle ces milliers de brochures que nous avons jetées parce que j'y ai laissé une faute d'orthographe (elle avait échappé à l'oeil vigilant du comité de lecture que nous avions eu la prudence de mettre en place), ces gadgets que je commande quand je suis fatiguée de travailler au catalogue en ligne, les cadeaux qui pleuvent et que je redistribue à mes frères et soeurs... Je me rappelle le comptable si réticent à me prêter sa voiture de société pour que je puisse me rendre chez l'imprimeur.
-Je t'assure que je vais faire super attention, malgré mon permis provisoire, je suis très prudente.
Et ma honte lorsqu'une demi-heure plus tard, tremblante, j'ai dû appeler
TDL pour qu'il vienne remorquer la voiture que j'ai
explosée contre un 4X4.
Onze mois plus tard, un professeur Espagnol rencontré par hasard m'a proposé de faire un travail de recherche dans son équipe. J'ai tout planté là :
PC, l'ordinateur, le catalogue, le site, les brochures et les gadgets et suis partie à l'aventure, sans regrets, si ce n'est celui de quitter de manière aussi ingrate une société qui m'a tout appris.
Quelques années plus tard, apprenant que j'étais de retour au pays, ils m'ont
recontactée pour un autre job.
Émue, j'ai refusé. La boîte a changé,
PC l'a quittée pour travailler dans un secteur différent,
TDL y est revenu après avoir été infidèle pendant quelques années, des couples se sont faits et défaits dans son ombre, les vétérans y sont toujours...
Photo: Chenapan croquant la vie à pleine dent mai 2010