samedi 8 novembre 2014

Clair-obscur

Pieter Codde  Portrait de femme vue de dos
Subrepticement, le temps dévide les souvenirs sépia. Les saisons succèdent aux saisons. La lumière tamisée recueille les feuilles molles sur le sol limoneux. Les rides se creusent, de sourires et de soupirs. Et les amis d'antan aiment, pensent, prient, rêvent, écrivent, publient et se font traduire, primés, célébrés, érudits, de plus en plus, profonds, lointains...

vendredi 2 mai 2014

Depuis que j'ai le temps...

Non Edmée, je ne suis pas re-re-disparue. Je suis moins fidèle à la blogosphère, mais comment pourrait-il en être autrement?
Depuis que "j'ai le temps" (comprenez, depuis que je ne suis plus assise devant un écran ou en réunion plusieurs heures par jour pour mes employeurs) il file, le temps. Mais je ne veux pas le laisser filer entre les doigts, je préfère le dompter et l'astreindre à mon nouveau rythme, à savourer les choses et à le mettre au service des miens.
Depuis que "j'ai le temps", on ne me demande pratiquement plus si on me dérange, puisque je suis là. J'ai donc la chance d'entendre de nombreuses confidences, de consoler, d'orienter, de rire, de partager de beaux moments avec mes proches.
Depuis que "j'ai le temps", je suis disponible pour remplacer tous ceux qui n'ont pas le temps à l'école, chez le notaire, pour prendre en main différentes choses à organiser, pour recevoir, faire les navettes.
Depuis que "j'ai le temps", j'ai découvert la joie de la musique qui m'était totalement étrangère. Attirée par le saxo puis la clarinette, je me suis finalement fixée sur la flûte traversière, un peu par hasard mais surtout grâce à ma belle-sœur qui m'a généreusement prêté son instrument et son heure de cours. Je n'imaginais pas la joie et la satisfaction que procure cet apprentissage musical. Mon entourage en souffre un peu, mais lorsque les enfants reconnaissent une mélodie et accompagnent la flûte de leur voix, quel bonheur! J'ai même eu droit à un compliment d'Amaury qui m'a dit qu'il y avait une nette amélioration... "enfin, comme tu viens de nulle part, ce n'est pas très difficile..." Je maintiens que c'est un compliment!
Depuis que "j'ai le temps", je collabore avec une ASBL qui s'occupe de diffusion de livres dans les écoles et auprès d'adultes, pour laquelle je lis des romans (généralement les dernières parutions) et fais part de mon humble avis de lectrice.
depuis que "j'ai le temps", je prends le temps. Je ne cours plus, je marche, je suis là, j'écoute, je respire, je ris, je parle, je vous lis, je suis.
Ah j'oubliais, depuis que "j'ai le temps", je fais des bijoux personnalisés. Alors, quand on me demande ce que je fais de mes journées, il me prend des envies de frapper.


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 photo empruntée à Voir ou regarder.

"Nina Simone, roman" de Gilles Leroy - Just Say I Love Him



Avec le dernier-né de sa trilogie américaine, Nina Simone, Gilles Leroy ne déçoit pas. De sa plume enlevée mais pleine de tendresse, il dévoile  l’intimité d’Eunice Kathleen Waymon, qui prendra plus tard le nom de scène de Nina Simone, sans jamais tomber dans le voyeurisme. On ne s’ennuie pas en découvrant la vie dure et solitaire de cette grande diva, en l’écoutant raconter son enfance de petite fille noire, pauvre mais protégée par des parents pasteurs et des mécènes blanches. Bien qu’elle ait été élevée pour devenir la meilleure concertiste noire du pays, sacrifiant son enfance pour le piano, elle sera refusée par le célèbre institut Curtis, sans doute en raison de ses origines. Remarquée dans un cabaret où on l’a obligée à chanter pour accompagner son jeu au piano, elle devient peu à peu connue, non pas comme pianiste, mais pour le timbre unique de sa voix. Elle devient incontournable, riche, célèbre, se marie puis divorce, découvre les hommes, l’alcool et la solitude. Elle qui rêvait de jouer Bach, Mozart et son cher Debussy chante de la soul et du jazz. Elle s’implique un moment dans la défense des droits civiques. Elle meurt seule, malade, pauvre, abandonnée de tous.

Une biographie romancée réussie, car elle nous rend Nina humaine, proche, dure mais fragile, capricieuse, malheureuse et courageuse. Dorénavant, ses chansons auront une densité nouvelle pour moi.
« Et toi, Nina, diras-tu que tu as réussi ta vie ? » J’ai réfléchi un bout de temps. « J’ai vécu la vie d’une autre, Comment décider si c’est une réussite ou non ? » (p. 253)

éd. Mercure de France, 2014

jeudi 13 mars 2014

mercredi 12 mars 2014

"Réparer les vivants", Maylis de Kerangal




"My heart is full".
Citant Paul Newman, Maylis de Kerangal nous offre la clé de lecture de son dernier-né, "Réparer les vivants".
Il ne s'agit pas de l'histoire de Simon Limbres, de sa passion pour le surf, la grande vague, la déferlante, la scélérate, les rouleaux, tubes, lames, "cette onde venue du fond de l'océan, archaïque et parfaite, la beauté en personne" (p. 16) ou de la souffrance, de l'errance, de la solitude, de l'anéantissement de ses parents qui vivent à chaque minute, raz-de-marée, la mort de leur fils, ni de celle de Juliette, "défigurée comme les autres, méconnaissable" (p.243), encore moins de celle des médecins et infirmiers qui vont le soigner, le palper et l'accompagner pendant les longues heures qui s'égrènent au rythme de son cœur encore en mouvement, ou de Claire, souffrant d'une myocardite et vivant de l'attente et de la peur d'une greffe, "d'un corps étranger dans le sien" (p. 207). Il y a un peu de tout cela, beaucoup de cela même, mais le véritable protagoniste de l'histoire, le personnage central, le nœud, le lien, le héros, c'est le cœur de Simon. Ce cœur, "boîte noire d'un corps de vingt ans", "vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations", "nul ne saurait le connaître" (pp. 11-12).
Autour de ce cœur se cristallisent toutes les émotions, les vies, les attentes, les regards des personnes qui l'approchent et le côtoient, l'espace d'un moment qui se situe hors du temps, "en ce lieu exact du cosmos où se croisent la vie et la mort" (p.269).
Grâce à une écriture qui s'apparente à une gigantesque métaphore, Maylis de Kerangal entraîne ses lecteurs dans ce que l'homme à de plus intime et de plus universel, de primaire, d'animal mais de spirituel, dans les méandres de ses pulsions et battements, à l'image de ce cœur humain dont "seule une image en mouvement créée par un ultrason pourrait en renvoyer l'écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre (...) un récit, en profiler la vie" (p. 11).

Ed. Verticales, 2014

mercredi 26 février 2014

"Une larme m'a sauvée", Angèle Lieby


 


Une femme allongée, les paupières closes, les bras le long du corps, de l’herbe, un ciel bleu, mais pas trace de larme malgré le titre accrocheur et qui semble trompeur : il ne s’agit pas d’un polar, encore moins d’une histoire d’amour à sortir les mouchoirs et faire sangloter les pubères. Quoi que…

Angèle Lieby est une quinqua heureuse, bien dans sa peau et ses baskets, bosseuse, fonceuse, sportive et positive. Jeune grand-mère, elle travaille à l’usine, où elle installe des monnayeurs sur les barres métalliques des caddies. « Tout va bien, vraiment, puisque je suis en pleine forme et que je suis heureuse. » (p. 21)
Hélas, de petits signaux d’alarme se manifestent sans toutefois attaquer l’optimisme indécrottable de la protagoniste : mal de gorge, fatigue, picotement dans les doigts. Et puis, soudain, cette insupportable migraine qui l’incite à se rendre aux urgences sans plus attendre. « J’ai la sourde impression que quelque chose de grave est en train d’arriver, mais je ne sais pas quoi. » (p. 22)
Peu à peu, son corps semble s’engourdir : parler, manger, respirer même devient laborieux. Trimballée d’un service à l’autre, elle subit toute une batterie d’analyses, sous le regard interrogateur  et vaguement inquiet des médecins qui finalement, prennent la décision de la faire glisser dans le coma « afin de me sauver la vie d’abord. Et de comprendre ensuite ce qui l’a mise en danger, subitement, sans raison. » (p. 28)
Angèle se réveille et se souvient : l’obscurité, le silence, la cage, l’emprisonnement, c’est son corps qui l’oppresse et refuse de lui obéir. Elle entend les conversations, reconnaît son mari et sa fille qui parlent à côté d’elle. Son état semble irréversible, le médecin prépare ses proches au pire : seules les machines la maintiennent en vie, il faut envisager de la débrancher. Emplie de désespoir,  Angèle hurle son envie de vivre et son amour, « Ecoutez mes appels muets, brisez les murs de mon corps et alors vous verrez que je n’ai rien » (p. 52), pauvre cri silencieux ! Ne lui reste que la prière, souvenir d’enfance, « douceur des bons sentiments » (p. 44) à laquelle elle s’accroche avec toute la force de son impuissance. « Est-il possible qu’il n’ait rien vu ? Qu’il n’ait rien repéré de mon âme inquiète ? Mon âme qui crie, qui pleure et appelle au secours ? » (p. 32) Elle est désemparée de ne pouvoir se faire entendre, bouger les lèvres, tendre la main, toucher, caresser, appeler au secours : « j’avais compris que l’on me croyait inconsciente ; je comprends désormais que l’on me croit morte » (p. 53), si désemparée qu’un miracle se produit : une larme perle de ses yeux et roule sur sa joue...
« C’est comme si la prison de mon corps s’était entrouverte enfin sous les coups de boutoir de mon esprit . » (p. 89)
Outre une réflexion sur sa situation exceptionnelle et la position plus que discutable du médecin anesthésiste qui a décidé de manière unilatérale de la débrancher, le témoignage bouleversant d’Angèle véhicule deux messages essentiels :
« Avoir la vie d’un autre entre ses mains ne fait pas nécessairement de soi un dieu. » (p. 220)
mais surtout
 «Aujourd’hui, je sais qu’il est essentiel de parler même à ceux que l’on croit morts. Aujourd’hui, je sais qu’un malade est condamné si personne ne vient le voir. » (p. 39)
« Le soulagement de la douleur, physique ou morale, doit être la préoccupation majeure des soignants, quel que soit l’état du malade. » (p. 221)

éd. des Arènes, 2012

 

mardi 18 février 2014

"Au revoir là-haut", Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre


Bon, c'est clair que c'est un sujet incontournable. Dès qu'on rentre dans une librairie, il nous saute à la figure, c'est le sujet du moment, celui qui fait vendre: la Grande Guerre, avec majuscules! Cent ans, ça se fête!  Enfin... ça se commémore: on ne célèbre pas le début d'une guerre, même si on l'a gagnée.
Pierre Lemaitre a été finaud lui, il a publié son roman en 2013, devançant l'année anniversaire. Et ça lui a valu un prix: le Goncourt, rien que ça!

Mais je suis mauvaise. Il est drôlement bien ficelé, ce roman,  avec ses anti-héros qui deviennent nos héros à nous. Parce qu'ils souffrent, parce qu'ils ont peur, qu'ils sont lâches et parfois courageux, parce que, tour à tour, ils subissent l'Histoire et leur histoire, pour finalement se montrer plus forts qu'elles. Ils sont décrits avec tant de talent qu'ils en deviennent vivants. Oh, certains caractères sont poussés jusqu'à l'extrême parfois, mais sans jamais verser dans la caricature: ils pourraient se réclamer de la Comédie humaine de Balzac.
A cela, différentes quêtes, la gloire et la richesse, l'amour et la reconnaissance, la vengeance et le pardon s'entrelacent dans la boue des tranchées et les hôpitaux, les palaces et les hôtels particuliers.

C'est l'histoire de deux poilus, Albert Maillard et Edouard Péricourt, qui ne se seraient jamais rencontrés sans cette saloperie de guerre. Ils en ressortent abîmés, très abîmés, si abîmés que leur réinsertion dans la vie civile est problématique. La France n'est pas prête à accueillir toutes ces gueules et ces âmes cassées, alors il faut vivre d'expédients pendant que d'autres croient consolider leur richesse et leur puissance sur les ruines de leur pays. Jusqu'au jour où ils auront l'idée lumineuse d'une arnaque à échelle nationale qui leur rapportera une petite fortune. Le tout s'achevant dans la lumière de la rédemption, de celle que l'on n'attendait pas et qui transforme ce drame en tragédie et cette tragédie en drame.

Malgré ces 564 pages, on est tenu en haleine grâce aux nombreux rebondissements qui rappellent la trame des romans policiers sur fond d'histoire bien documentée. Le style vivant y est certainement aussi pour quelque chose, où tour à tour, narration et monologues se fondent en une même voix, celle des rescapés de la Grande Guerre.

"Ce qu'Albert voit, surtout, c'est son regard clair et direct, au lieutenant. Totalement résolu. Tout s'éclaire d'un coup, toute l'histoire.
C'est à cet instant qu'Albert comprend qu'il va mourir. Il tente quelques pas, mais plus rien ne marche, ni son cerveau, ni ses jambes, rien. Tout va trop vite. Je vous l'ai dit, ce n'est pas un rapide, Albert. En trois enjambées, Pradelle est sur lui. Juste à côté, un large trou béant, un trou d'obus. Albert reçoit l'épaule du lieutenant en pleine poitrine, il en a le souffle coupé. Il perd pied, tente de se rattraper et tombe en arrière, dans le trou, les bras en croix."
(éd Albin Michel p. 24)

vendredi 14 février 2014

Deuil

 
 
 
 


Je suis triste. J'ai le cœur endeuillé. Les paupières en berne. Ne vous méprenez pas: je ne suis pas en colère. Simplement effrayée par l'avenir que nous préparons à nos enfants avec de telles décisions. J'ai honte aussi. Honte pour eux et pour moi de les avoir élus. Honte du manque de courage, de l'absence d'amour et de l'individualisme qui règne en maître dans ce pays grand comme un mouchoir de poche, que d'aucuns voient encore comme un pays où il faut bon vivre, allez savoir pourquoi! On n'y trouve plus rien, plus d'entreprises (tout est vendu), plus de travail, plus de vie, plus de solidarité, plus rien. Du gris et du noir, de l'agressivité, des vols et des viols, des grèves et la mort, cette mort qui vous guette au détour d'une rue et dans les couloirs aseptisés des hôpitaux.

Je sais, j'affirmais le contraire hier. J'ai rencontré une énorme chaîne de solidarité, des personnes courageuses, généreuses, prêtes à se défoncer et à dire la vérité envers et contre tous, à descendre dans la rue, à se mouiller au sens propre comme au figuré, j'ai découvert la puissance et la force des (multi)médias et l'intelligence des remises en questions. J'ai eu des échanges extraordinaires avec des médecins et des bénévoles, j'ai entendu des témoignages bouleversants, j'ai été portée par l'espoir d'un monde différent. C'est juste, que, là, maintenant, après le travail exaltant de ces derniers jours, je me permets, rien qu'avec vous, ici, en tout petit comité, de me laisser aller à un coup de cafard.

dimanche 26 janvier 2014

Poésie et calligraphie

Tout en repeignant un appartement à louer, je me surprends à penser à Fabienne Verdier, remarquable artiste qui m'a ouvert les portes de l'art oriental. Mon outillage de peintre amateur me fait songer à cette femme volontaire qui utilise un treuil pour manipuler le pinceau gigantesque lui permettant de calligraphier son art. A la lecture de sa biographie "Passagère du silence", les potiches chinoises trônant sur les buffets de mes parents ont enfin quitté leur anonymat pour prendre vie sous mon regard attentif. Elles m'invitent à me perdre dans les méandres des sentiers offerts sur leurs flancs rebondis, à côtoyer la jeune femme à l'ombrelle ouvragée, à m'asseoir aux côtés du pêcheur tout en contemplant le vol de ce superbe papillon dont j'ignore le nom.
Je ne m'étendrai pas sur son parcours hors du commun, Tania a déjà présenté de celui-ci une analyse tout en finesse, à son habitude.
 En collaboration avec François Cheng, de l'académie française, elle publie des calligraphies illustrant  des poèmes issus de l'âge d'or de la poésie classique chinoise.
""Les poèmes proposés dans ce Carnet du calligraphe illustrent une tradition qui correspond à l'âge d'or de la poésie classique chinoise. Les poètes de la dynastie des Tang ont su continuer, en la magnifiant, une culture littéraire dont l'origine remonte à presque mille ans avant notre ère."
"...la poésie, en liaison avec la calligraphie et la peinture -appelée en Chine la Triple Excellence- est devenue l'expression de la plus haute spiritualité." François Cheng.
"Comme l'homme, le monde respire et le calligraphe doit avoir le cœur disponible pour être capable d'insuffler à son trait le pouls de l'univers. Il doit pour cela chercher à cultiver la réceptivité, retrouver une intégrité, être à l'écoute de ses émotions et de son être intérieur." Fabienne Verdier.
"...Sur le tableau, il ne devait rester rien d'autre que l'esprit de la forme, et non la forme réelle interprétée. Je découvris alors un chemin qui me permettrait peut-être de saisir la quintessence des êtres, des pensées, de capter, en un coup de pinceau, la beauté des émotions passagères et fugitives.
Le calligraphe est un nomade, un passager du silence. Il aime l'errance intuitive sur les territoires infinis. Il se pose de-ci de-là, explorateur de l'univers en mouvement dans l'espace-temps. Il est animé par le désir de donner un petit goût d'éternité à l'éphémère." Fabienne Verdier.
Emue, je retrouve les éléments de mon étude concernant les illustrations des poèmes de Reverdy par Juan Gris, Picasso, Braque, Modigliani... L'art est universel tout comme sa quête qui se redessine au fil de cet espace-temps dont parle Fabienne Verdier  avec toute la ferveur de l'artiste habité. Que ce soit en Orient ou en Occident, en chinois ou en français, à l'encre ou au crayon, en cloisonné ou en totale liberté, l'art, le vrai, apporte un "goût d'éternité".
N'hésitez pas à prendre le temps d'intégrer chaque page de ce petit recueil, vous voyagerez!





vendredi 17 janvier 2014

La quadra



- C'est l'histoire d'une jeune quadra qui...
- Pourquoi dis-tu qu'elle est jeune, ta quadra ? Une quadra, c'est une quadra, elle n'est ni jeune, ni vieille, je me trompe?
- Si, si, celle-ci est jeune, parce qu'elle se SENT jeune. Enfin... ces temps-ci, c'est un peu différent, elle a été un peu usée par les soucis, tu vois. Finalement, elle ne se sent peut-être plus si jeune... Bon, tu as raison. C'est donc l'histoire d'une quadra qui a toujours eu beaucoup de chance. La chance, elle connaît ! Et les opportunités aussi, qu'elle a toujours saisies avec gratitude, que ce soit dans sa vie affective ou professionnelle. Elle a construit une belle famille et un semblant de carrière, riche en expériences diverses et assez complémentaires finalement. A présent, sa carte de visite affiche le titre pompeux de Directrice,  figure-toi. Mais oui, parfois ça arrive, même aux personnes dépourvues de cette ambition de la mort qui tue tout ce qui fait de l'ombre à leur ego. Le titre, c'est une chose, la fonction en est une autre. Elle s'est rendu compte, juste à temps, mais quand je te dis, "juste à temps" il était moins une, qu'il était urgent qu'elle lève le pied sous peine de contempler, des semaines, des jours et des heures durant, immobile, les flammes de l'âtre inexistant de sa maison de ville. Alors, elle a pris un congé de trois mois pour prendre du recul, éloigner les cauchemars, annihiler les angoisses et se recentrer sur l'essentiel. Elle a reposé son esprit, trop heureuse de découvrir la saveur d'un pain pétri de ses mains et d'offrir des cadeaux créés par ses doigts qu'elle a découverts agiles et inventifs, elle qui se croyait si maladroite et avait la réputation d'être toujours trop impatiente! Elle réapprend à cheminer au rythme de ses enfants, de la pâte qui lève, de la peinture qui prend le temps de sécher...
Les tiroirs de son âme portent d'autres étiquettes, certaines jaunies par le temps, d'autres flambant neuves:  livres, formation, thé, échange, artisanat, âme, accompagnement, amitié, famille, contemplation, silence, rencontre...