mardi 18 février 2014

"Au revoir là-haut", Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre


Bon, c'est clair que c'est un sujet incontournable. Dès qu'on rentre dans une librairie, il nous saute à la figure, c'est le sujet du moment, celui qui fait vendre: la Grande Guerre, avec majuscules! Cent ans, ça se fête!  Enfin... ça se commémore: on ne célèbre pas le début d'une guerre, même si on l'a gagnée.
Pierre Lemaitre a été finaud lui, il a publié son roman en 2013, devançant l'année anniversaire. Et ça lui a valu un prix: le Goncourt, rien que ça!

Mais je suis mauvaise. Il est drôlement bien ficelé, ce roman,  avec ses anti-héros qui deviennent nos héros à nous. Parce qu'ils souffrent, parce qu'ils ont peur, qu'ils sont lâches et parfois courageux, parce que, tour à tour, ils subissent l'Histoire et leur histoire, pour finalement se montrer plus forts qu'elles. Ils sont décrits avec tant de talent qu'ils en deviennent vivants. Oh, certains caractères sont poussés jusqu'à l'extrême parfois, mais sans jamais verser dans la caricature: ils pourraient se réclamer de la Comédie humaine de Balzac.
A cela, différentes quêtes, la gloire et la richesse, l'amour et la reconnaissance, la vengeance et le pardon s'entrelacent dans la boue des tranchées et les hôpitaux, les palaces et les hôtels particuliers.

C'est l'histoire de deux poilus, Albert Maillard et Edouard Péricourt, qui ne se seraient jamais rencontrés sans cette saloperie de guerre. Ils en ressortent abîmés, très abîmés, si abîmés que leur réinsertion dans la vie civile est problématique. La France n'est pas prête à accueillir toutes ces gueules et ces âmes cassées, alors il faut vivre d'expédients pendant que d'autres croient consolider leur richesse et leur puissance sur les ruines de leur pays. Jusqu'au jour où ils auront l'idée lumineuse d'une arnaque à échelle nationale qui leur rapportera une petite fortune. Le tout s'achevant dans la lumière de la rédemption, de celle que l'on n'attendait pas et qui transforme ce drame en tragédie et cette tragédie en drame.

Malgré ces 564 pages, on est tenu en haleine grâce aux nombreux rebondissements qui rappellent la trame des romans policiers sur fond d'histoire bien documentée. Le style vivant y est certainement aussi pour quelque chose, où tour à tour, narration et monologues se fondent en une même voix, celle des rescapés de la Grande Guerre.

"Ce qu'Albert voit, surtout, c'est son regard clair et direct, au lieutenant. Totalement résolu. Tout s'éclaire d'un coup, toute l'histoire.
C'est à cet instant qu'Albert comprend qu'il va mourir. Il tente quelques pas, mais plus rien ne marche, ni son cerveau, ni ses jambes, rien. Tout va trop vite. Je vous l'ai dit, ce n'est pas un rapide, Albert. En trois enjambées, Pradelle est sur lui. Juste à côté, un large trou béant, un trou d'obus. Albert reçoit l'épaule du lieutenant en pleine poitrine, il en a le souffle coupé. Il perd pied, tente de se rattraper et tombe en arrière, dans le trou, les bras en croix."
(éd Albin Michel p. 24)

14 commentaires:

  1. Un billet a la hauteur de ce livre magnifique. J'aimerais avoir le temps de lire des livres de 500 pages...mais voilà, je préfère écrire quand j'ai cinq minutes et du coup je n'ai plus beaucoup de temps pour lire.
    Grosses bises ma Delphine.

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    1. Entre tes billets, tes vagabondages sur la toile et tes dessins étoilés, je peux comprendre... Et donc, j'apprécie d'autant plus ton passage par ici. Tiens, à propos Cel, lis-tu tous les livres que tu donnes à lire à tes élèves? Ta réponse et celle de tes collègues instits ou profs m'intéresse. bises du Nord

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    2. Ah oui, ça par contre, je le fais. J'ai eu de mauvaises surprises sur certains livres que j'avais donnés dans le passé, (ils étaient pourtant estampillés "Education nationale" ou bien édités par "l'école des loisirs" un éditeur jeunesse réputé sérieux... les parents sont venus me dire: mais qu'est-ce que c'est que ce torchon? Et c'était vrai: il y avait des passages scabreux. Du coup, maintenant, je vérifie par moi-même...
      Mais un livre pour les CM2 se lit assez vite!
      Bisous

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    3. Ca me fait plaisir de lire cette réponse, chère Cel, je t'avoue qu'ici, ils donnent à boire et à manger à nos jeunes. Une prof a avoué ne pas avoir lu le torchon qu'elle donnait à lire à ses élèves. J'ai du mal a imaginer que ce soit possible... Heureusement, mon fils découvre "Oscar et la dame rose", "le garçon en pijama rayé" etc. Il parait que les garçons pleurent en classe, c'est bien, non? plutôt que de leur faire lire des trucs qu'ils découvrent bien assez tôt et qui les abiment?

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  2. La guerre - plus largement "L'histoire, avec sa grande hache" (Perec) - est le thème de la Foire du Livre qui s'ouvre à Bruxelles aujourd'hui. Lemaître y sera certainement en bonne place.

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  3. J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre et je l'ai conseillé à de nombreuses personnes.

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    1. Quel bonheur de vous revoir ici, cher Bonheur! et ravie que ce livre vous ait plu. Qu'y avez-vous apprécié?

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  4. Je suis sensible à ce qui se dégage des gens. A Brive, lorsque je l'ai croisé, j'ai eu envie de fuir plutôt que lire son roman. je l'achèterai plus tard, en livre de poche!
    De cette guerre, j'ai appris beaucoup en lisant les carnets de mon grand-père!

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    1. Ah bon, il ne dégage pas d'ondes positives? Peut-on juger un auteur par son œuvre, qu'en penses-tu?

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    2. Je crois que tout jugement hâtif est une erreur et que je dois progresser pour ne pas me laisser piéger. Merci pour ta remarque

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    3. Ma question était sincère et ne se voulait pas une remarque : suite à ton commentaire, j'ai réfléchi à ce que dégageait ce roman: beaucoup de cynisme, de la souffrance, un flou absolu par rapport au bien et au mal, mais je ne peux en dire plus sous peine d'en révéler la fin. Une personne rayonnante laissera sans doute des œuvres lumineuses et inversement, quoi que?

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    4. Je reviens ici voir ce que disent mes ains ou les autres de ce livre après avoir échangé à ce sujet. Je crois que tu as parfaitement raison dans cette dernière note et que c'est un homme meurtri mais d'une grande sensibilité. Quand on le voit, rien ne s'allume... Quand j'écris "remarque" cela n'a rien de négatif, sois tranquille

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