Angèle Lieby est une quinqua heureuse, bien dans sa peau et ses baskets, bosseuse, fonceuse, sportive et positive. Jeune grand-mère, elle travaille à l’usine, où elle installe des monnayeurs sur les barres métalliques des caddies. « Tout va bien, vraiment, puisque je suis en pleine forme et que je suis heureuse. » (p. 21)
Hélas, de petits signaux d’alarme se manifestent sans
toutefois attaquer l’optimisme indécrottable de la protagoniste : mal de
gorge, fatigue, picotement dans les doigts. Et puis, soudain, cette insupportable
migraine qui l’incite à se rendre aux urgences sans plus attendre. « J’ai la sourde impression que quelque
chose de grave est en train d’arriver, mais je ne sais pas quoi. » (p.
22)
Peu à peu, son corps semble s’engourdir : parler,
manger, respirer même devient laborieux. Trimballée d’un service à l’autre,
elle subit toute une batterie d’analyses, sous le regard interrogateur et vaguement inquiet des médecins qui
finalement, prennent la décision de la faire glisser dans le coma « afin de me sauver la vie d’abord. Et
de comprendre ensuite ce qui l’a mise en danger, subitement, sans raison. »
(p. 28)
Angèle se réveille et se souvient : l’obscurité, le
silence, la cage, l’emprisonnement, c’est son corps qui l’oppresse et refuse de
lui obéir. Elle entend les conversations, reconnaît son mari et sa fille qui
parlent à côté d’elle. Son état semble irréversible, le médecin prépare ses
proches au pire : seules les machines la maintiennent en vie, il faut envisager
de la débrancher. Emplie de désespoir, Angèle
hurle son envie de vivre et son amour, « Ecoutez
mes appels muets, brisez les murs de mon corps et alors vous verrez que je n’ai
rien » (p. 52), pauvre cri silencieux ! Ne lui reste que la
prière, souvenir d’enfance, « douceur
des bons sentiments » (p. 44) à laquelle elle s’accroche avec toute la
force de son impuissance. « Est-il
possible qu’il n’ait rien vu ? Qu’il n’ait rien repéré de mon âme inquiète ?
Mon âme qui crie, qui pleure et appelle au secours ? » (p. 32) Elle
est désemparée de ne pouvoir se faire entendre, bouger les lèvres, tendre la
main, toucher, caresser, appeler au secours : « j’avais compris que l’on me croyait inconsciente ; je
comprends désormais que l’on me croit morte » (p. 53), si désemparée
qu’un miracle se produit : une larme perle de ses yeux et roule sur sa
joue...
« C’est comme si la prison de mon corps s’était entrouverte enfin sous les coups de boutoir de mon esprit . » (p. 89)
« C’est comme si la prison de mon corps s’était entrouverte enfin sous les coups de boutoir de mon esprit . » (p. 89)
Outre une réflexion sur sa situation exceptionnelle et la
position plus que discutable du médecin anesthésiste qui a décidé de manière
unilatérale de la débrancher, le témoignage bouleversant d’Angèle véhicule deux
messages essentiels :
« Avoir la vie d’un
autre entre ses mains ne fait pas nécessairement de soi un dieu. » (p.
220)
mais surtout
«Aujourd’hui, je sais qu’il est essentiel de
parler même à ceux que l’on croit morts. Aujourd’hui, je sais qu’un malade est
condamné si personne ne vient le voir. » (p. 39)
« Le soulagement
de la douleur, physique ou morale, doit être la préoccupation majeure des
soignants, quel que soit l’état du malade. » (p. 221)
Terrible. Heureusement les états de coma sont aujourd'hui mieux explorés qu'avant, grâce entre autres aux recherches à l'université de Liège pour mieux observer l'activité du cerveau.
RépondreSupprimerJ'espère, chère Tania. Je viens de lire un autre cas qui me donne froid dans le dos. Si tu as plus d'infos concernant ces recherches, elles m'intéressent.
SupprimerJe ne connais pas les deux auteurs dont tu parles dans tes deux derniers articles. De mon côté, je suis allé samedi dernier à la Foire du Livre de Bruxelles avec notre amie Edmée ; une chouette rencontre au milieu des livres. Bon week-end Delphine et à bientôt.
RépondreSupprimerTu as certainement passé un merveilleux moment avec notre amie Edmée, toujours si dynamique et souriante. Y As-tu fait des découvertes?
Supprimer"Nos mères" du jeune auteur liégeois Antoine Wauters (Prix Première 2014). J'en ai parlé sur mon blog des écrivains belges.
SupprimerUne histoire vraie qui glace le sang...comme si son propre corps devenait un tombeau.
RépondreSupprimerOn se prend à espérer de ne jamais subir cet enfer.
Oh oui, surtout que je lis "réparer les vivants"...
SupprimerCe que tu écris me donne vraiment envie de lire ce livre. Cela me rappelle beaucoup ce que dit Marie de Hennezel dans " la mort intime." que je viens d'ailleurs d'envoyer à mA fille pour l'aider à accompagner son père
RépondreSupprimerMerci de me rappeler le livre de Marie de Hennezel que j'ai eu entre les mains sans l'ouvrir. Je vais certainement me le procurer. Belle journée!
SupprimerUn témoignage terrifiant et tellement précieux. Peut-être permettra-t-il d'envisager le coma d'un autre façon, plus humaine et avec plus d'espérance.
RépondreSupprimer"Tu ne seras jamais déçu par l'espérance", citation reprise par Erik Orsenna dans "Mali ô Mali"...
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