Allongée sur le lit de camp de l'hôpital, je revoyais deux fillettes de dix et douze ans quémandant la permission de rejoindre les scouts qui campaient dans le bois. Accroupies, elles regardaient les Eperviers scier, hacher, tailler, traîner les troncs nus, les assembler en constructions savamment étudiées. Parfois, elles mettaient la main à la pâte, munies des outils de bon-papa. Puis elles se muaient en aventurières : juchée sur deux fougueuses montures (le second et le troisième de patrouille) qu'elles talonnaient pour aller vite, encore plus vite, elles tournaient, virevoltaient, sautaient, heurtaient d'autres montures. Accrochées par des cavaliers ennemis, elles se dégageaient, attrapaient ici un pull, là une lanière de chapeau. Elles approchaient du but, encore un peu, un tout petit peu, GAGNE, elles avaient GAGNE! Le foulard dans leur poing serré, elles hurlaient leur joie et leur fierté. Elles assistaient le troisième chargé de la tambouille et touillaient l'eau bouillonnante qui chauffait dans les casseroles noires d'une crasse laissée par plusieurs générations de scouts. Inventifs et curieux, ils avaient organisé un barbecue de moules d'eau douce, pêchées à main nue dans l'étang. Ils invitèrent les filles de la maison à y goûter, ce qu'elles refusèrent poliment. Elles étaient parfois conviées aux veillées et, serrées l'une contre l'autre, elles les regardaient fumer le calumet de la paix et, sans se lasser, les écoutaient chanter. Un soir où elles avaient dû rester à la maison, la plus jeune les entendit hurler :"Et j'ai crié, crié-é, Delphine, pour qu'elle revienne...". Assise sur l'appui de fenêtre et humant les senteurs du soir, elle se prit pour une star, l'espace d'un soir. De longues semaines plus tard, une lettre adressée à la plus grande des deux éveilla la curiosité de la maisonnée. Bien qu'harcelée par sa petite soeur, elle ne souffla mot du contenu de la missive. Finaude, la cadette trouva des morceaux de papier déchirés dans le fond d'une corbeille et les assembla en un puzzle qui dévoila un poème où la chevelure de feu de l'aînée était comparée au soleil couchant. Un rendez-vous était proposé, sans aucun doute avorté. Lorsqu'à son tour, elle reçut une lettre de son scout préféré, Delphine eut trop peur d'être démasquée. Elle ne toucha mot de la lettre et la brûla afin qu'il n'en resta rien. Des années plus tard, lorsqu'elle confessa ce geste, personne ne la crut! Elle rangea alors les lettres de ses soupirants dans une boîte à chaussure munie d'intercalaires. Finalement, elle s'en débarrassa comme on se déleste de tout ce qui attache au lieu de libérer et s'en trouva très bien.
Et vous, mes chers lecteurs, avez-vous aussi des souvenirs heureux à partager? Des souvenirs qui nous sortent de la morosité de ces jours blancs et gris et froids ?
photo empruntée à Voir ou regarder.
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