Je vous parlais dans un billet précédent des moutons de mon enfance! Ils sont toujours là, les arrière-arrière-arrière-petits moutons de ceux que mon grand-père appelait en néerlandais pour les nourrir de betteraves, de pain sec et autres restes qui lui tombaient sous la main: "Komme komme koooom", entendait-on tous les soirs. Et les moutons de se précipiter vers bon-papa, reniflant et léchant nos petites mains qui leur tendaient sucres et marrons, cherchant à l'aveugle ceux qui tombaient au sol (jamais ils ne les trouvaient, je ne sais pas si c'est parce qu'ils sont aveugles, bêtes ou sans odorat)...
L'un d'eux avait été baptisé Bebel. Ils finirent tous par se prénommer ainsi.
Régulièrement, l'un ou l'autre tombait dans l'étang. Leur petites pattes n'arrivaient pas à soulever cette énorme masse que le poids de la laine mouillée tirait vers le fond. Il fallait une intervention rapide et musclée de plusieurs hommes si on voulait sauver Bebel transie et terrorisée.
Le transfert d'une prairie à une autre ou d'une étable à l'autre (pour séparer les jeunes brebis des plus vieilles, les agneaux des vieux boucs, les malades des plus valides ou tout simplement pour la tonte printanière) était toute une aventure. Nous étions au moins quatre à bloquer les diverses issues, à faire des moulinets avec nos bras et nos bâtons afin de leur indiquer une direction qu'ils ne suivaient pas, à récupérer les rétifs qui entraînaient les autres, à retenir le chien qui n'était pas un berger et dont le plus grand plaisir était de les effrayer...
Et je ne vous raconte pas les coups de cornes que nos postérieurs ont reçus: il y avait toujours, tôt ou tard, un bélier qui prenait son rôle trop à coeur et qui, macho, défendait bien vaillamment son troupeau!
Un jour ma petite soeur s'était mise en tête de monter à dos de mouton. La voilà partie, un lasso à la main (comprenez une corde au bout de laquelle elle avait fait un noeud coulant), escaladant le grillage, agitant son lasso au-dessus de sa tête et.... réussissant à le couler autour du cou d'une brebis. Afin de ne pas lâcher prise, elle avait attaché l'autre extrémité autour de son poignet. Je ne sais pas combien de mètres elle a fait sur le ventre, entraînée par la brebis affolée et à moitié étranglée, ni comment elle réussit finalement à se libérer (je crois qu'elle avait un canif), mais elle est toujours parmi nous, saine et sauve.
Le plus beau souvenir que je garde de Bebel, c'est celui des naissances: voir ces petites choses se mettre debout en chancelant, si frêles sur ces longues pattes, la queue agitée à chaque têtée, le bêlement un peu grêle et éraillé, alors que quelques minutes à peine se sont écoulées depuis le rude combat mené par la mère, et parfois par mon grand-père et le vétérinaire pour soulager Bebel, pour décoincer une patte, dérouler un cordon... c'est une leçon de vie que je n'oublierai pas de sitôt.
Il arrivait que Bebel rejette un de ses petits. Nous l'adoptions alors. Généralement, chacune avait son agneau, et nous lui donnions le biberon, des vrais biberons de bébé avec un lait spécialement conçu pour eux. Il fallait voir à quelle allure ils buvaient! Jamais aucun de mes enfants n'a réussi à battre en vitesse nos petits protégés. Ils nous voyaient arriver de loin et étaient très attachés à leur mère nourricière respective, la suivant partout, jusqu'au jour où ils muaient en Bebel...
photo prise par Amaury le 2 janvier 2010 à LXXX
Ces brebis sont bonnes à "bouffer" du pain.
RépondreSupprimerBêtes elles le sont par nature et aussi par action. Mais elles servent comme tout animal sur terre car aucun animal n'est inutile.
La plupart de mes amis bloggeurs savent que j'aime vraiment la nature. (Même si je suis chasseur. Et je pense l'aimer encore plus que beaucoup d'autres parce que je suis justement chasseur.)
Donc revenons à nos brebis. :-)
Ces braves bêtes nous servent quand-même bien car ce sont de véritables tondeuses à bas prix.
Le carburant, c'est l'herbe qui pousse naturellement et donc sans engrais ni pesticides! Et la viande est donc bonne ce qu'on trouve difficilement dans le commerce même contrôlée par ce cher AFSCA fort apprécié de ceux qui vendent de la viande. (Et surtout le gibier car c'est la meilleure viande)
Amaury
Magnifique récit. Merci
RépondreSupprimerS
Mais ils sont où, ces moutons? Dans ton jardin?
RépondreSupprimerCette belle évocation me fait découvrir encore un pan de toi, Delphine, et c'est une surprise agréable à chaque fois.
Il me semble qu'à ta place, j'aurais du mal à avaler une côtelette!
Bonne journée, mon amie du nord du Nord...
Celestine
Que de doux souvenirs.
RépondreSupprimerIls sont bien mignons tous ces bebel.
Bisous Dephine
Math
Ben voilà, maintenant ça me coupe toute envie de manger du mouton (ou pire, de l'agneau) à l'avenir !
RépondreSupprimerJe veux un mouton, je veux un mouton je veux un mouton !
Tu me rappelles les moutons de mon grand-père à moi, mais il en avait nettement moins et s'en servaient surtout comme tondeuse à gazon écologique, comme le dit Amaury.... :-)
RépondreSupprimerQue c'est joli, Delphine! Quels souvenirs tu as là, avec l'odeur un peu rance des animaux, les poursuites, le grand-père, le chien... les naissances des agneaux et le biberon. Avoir de tels souvenirs est un privilège, le contact avec la nature ...
RépondreSupprimerNous avions des poules, et il y avait toujours une Suzette! Notre chienne Kiddy s'était amourachée de l'une d'elles et la kidnappait pour l'emmener dans sa niche! Elle ne la mangeait pas, mais l'empêchait de resortir. Tu imagines si Suzette aimait cette situation ... On la voyait guetter anxieusement un signe de relâche de l'attention de Kiddy en émattant des coooooot? coooot?
Merci de ce texte charmant!
Amaury, c'est clair que mes parents ne les garderaient pas si Bebel n'avaient pas d'utilité. Il n'empêche qu'ils font partie de notre univers, ces Bébel stupides, maladroits et atachants.
RépondreSupprimerMerci So, très touchée par ton commentaire.
Célestine, dans le jardin de mes parents. Et non, j'adore les selles d'agneau, les gigots et tout ce qu'ils peuvent nous offrir. A propos, toi qui as froid aux pieds au saut du lit, j'ai eu toute mon enfance une descente de lit en mouton de chez nous. C'est le cycle naturel qui nous vivions chez mes parents: ils nous servaient et nous les respections et les soignions au mieux. L'abbatage et la congélation et la cuisson en étaient les conséquences logiques. Il fallait simplement que nous comprenions que l'agneau était devenu Bébel et qu'il était destiné à autre chose. Le cycle de la nature quoi. L'histoire de ma dernière soeur à côté de ça est dramatique: elle avait un lapin et en revenant de vacances, elle n'a plus trouvé son lapin mais a vu des pattes pendre au bout d'un fil... Pauvre chou, elle en a souffert longtemps, tout ça à cause des indélicatesses d'un jardinier...
Math, oui, c'est toute une partie de mon enfance heureuse et insouciante.
FD, je te jure que les vieilles biques que tu achètes ne sont rien à côté des moutons de mes parents. Et en plus, c'est un boucher arabe qui les tue avec tout un cérémonial qui les détend... (mais je ne crois pas qu'ils sont dupes d'accord avec toi...) D'ailleurs, leur peur se répand à des mètres à la ronde, et pour en attraper un et le mener au boucher, c'est pas une cinécure...
Myosotis, et quand ils étaient trop vieux pour tondre? Et avaient-ils des agneaux?
Edmée, j'adore l'histoire de ton chien. Pauvre poule, va, elle devait quand même être un tout petit peu flattée, tu ne crois pas? et ton chien, en mal d'affection ou quoi?
J'ai l'impression de lire les souvenirs d'Edmée. Tu as beaucoup de talent pour l'écriture. Et il paraît que tu as des beaux poèmes en réserve...
RépondreSupprimerMon coeur pleure de joie à l'évocation de ces souvenirs!
RépondreSupprimerHeureusement que tu es là pour me les rappeler...
Kiiiisss,M
En fait, c'est le boucher qui les prêtait à mon grand-père :-(. Et ils n'avaient jamais d'agneau non plus mallheureusement.....
RépondreSupprimerIci aussi il y a plein de Bébel ou alors, leurs cousins d'en haut, et des fermes où les enfants peuvent donner le biberon et plein d'agneaux au printemps et je retombe en enfance, bien que la mienne n'ait pas été peuplée de Bébel ... mais plutot très citadine ;))
RépondreSupprimer