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C'est un livre où tout est essentiel. Les phrases sont rythmées par des mots qui semblent quasi enfantins, comme ceux qu'utilisent Elle; simples et vrais, emprunts d'une justesse lumineuse qui troue la pénombre dont ils essaient d'extirper la poésie et la vie. Coumarine disait un jour que chaque mot avait sa juste place dans son texte. Ici encore, les mots ont une place unique leur confèrant un sens nouveau; ils sont nourris et éclairés par tous les autres qui penchent leurs voyelles et leurs consonnes dures ou colorées, aux senteurs printanières ou de mort.
Elle essaie de déchiffrer la douleur qu'elle porte enfermée à double tour dans sa mémoire et dans son coeur, celle de sa grand-mère Eugénie et de sa propre mère, leur donner un sens avec des mots salvateurs.
"La voilà enfin! Elle court, elle vole, elle s'envole, la robe légère soulevée par le vent. Le vent qui s'est fait violent. La mère s'apprête à monter à son tour pour rejoindre ses enfants sur la plage arrière de la carriole, quand soudain les chevaux s'ébranlent, frappés sèchement par le fouet du père... La mère tente de s'arrimer, mais elle trébuche. Brutalement. Choc du corps qui tombe mais reste accroché à l'arrière de la carriole qui continue impitoyablement d'avancer."
Envol et chute. C'est le début de la chaîne, d'une prophétie de malheur qui traversera les générations. La fille d'Eugénie, écrasée à son tour par celle-ci, se réfugiera dans les soupirs et les airs bougons, éteignant toute velléité de liberté autour d'elle. Reste l'évasion. Elle découvre les livres. Elle lit des montagnes de livres. Elle vit par procuration le bonheur de ses héros. (Est-ce repris tel quel dans "l'enfant à l'endroit"? Je ne sais plus vraiment, mais ça me semble bien réel.). Elle devait s'appeler Christiane. Son père l'appela Nicole. Cela provoque rires et blagues, mais il "a donné à sa fille un prénom qu'il aimait. Il lui a donné son identité, ni plus ni moins.(...) peut-être simplement un vrai geste d'amour." Car Elle est à la recherche d'amour dans les gestes démissionnaires du père qui ouvrent le journal mur et parapluie et dans les rares sourires de la mère, arrachés parfois à force de paroles doucereuses. Elle avait seize ans et un cousin qui était un véritable ami avec qui elle partageait de nombreux secrets. Il les quitta en un mois: leucémie foudroyante. Pendant deux ans elle devint funambule entre la vie et la mort, funambule silencieuse entre le rejet, la négation, et cette vie qui toujours... Mais un mot, un simple mot peut venir à bout des pires oscillations et colorer tout un passé obscur: Amour.