mercredi 31 mars 2010

"L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" de Nicole Versailles

"L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" est un livre dont il est malaisé de parler. En ce qui me concerne en tout cas. Parce qu'il transforme celui qui le lit. Parce qu'il est partie de nous, de moi. Par conséquent, je l'ai assimilé et sans doute interprété.
C'est un livre où tout est essentiel. Les phrases sont rythmées par des mots qui semblent quasi enfantins, comme ceux qu'utilisent Elle; simples et vrais, emprunts d'une justesse lumineuse qui troue la pénombre dont ils essaient d'extirper la poésie et la vie. Coumarine disait un jour que chaque mot avait sa juste place dans son texte. Ici encore, les mots ont une place unique leur confèrant un sens nouveau; ils sont nourris et éclairés par tous les autres qui penchent leurs voyelles et leurs consonnes dures ou colorées, aux senteurs printanières ou de mort.
Elle essaie de déchiffrer la douleur qu'elle porte enfermée à double tour dans sa mémoire et dans son coeur, celle de sa grand-mère Eugénie et de sa propre mère, leur donner un sens avec des mots salvateurs.
"La voilà enfin! Elle court, elle vole, elle s'envole, la robe légère soulevée par le vent. Le vent qui s'est fait violent. La mère s'apprête à monter à son tour pour rejoindre ses enfants sur la plage arrière de la carriole, quand soudain les chevaux s'ébranlent, frappés sèchement par le fouet du père... La mère tente de s'arrimer, mais elle trébuche. Brutalement. Choc du corps qui tombe mais reste accroché à l'arrière de la carriole qui continue impitoyablement d'avancer."
Envol et chute. C'est le début de la chaîne, d'une prophétie de malheur qui traversera les générations. La fille d'Eugénie, écrasée à son tour par celle-ci, se réfugiera dans les soupirs et les airs bougons, éteignant toute velléité de liberté autour d'elle. Reste l'évasion. Elle découvre les livres. Elle lit des montagnes de livres. Elle vit par procuration le bonheur de ses héros. (Est-ce repris tel quel dans "l'enfant à l'endroit"? Je ne sais plus vraiment, mais ça me semble bien réel.). Elle devait s'appeler Christiane. Son père l'appela Nicole. Cela provoque rires et blagues, mais il "a donné à sa fille un prénom qu'il aimait. Il lui a donné son identité, ni plus ni moins.(...) peut-être simplement un vrai geste d'amour." Car Elle est à la recherche d'amour dans les gestes démissionnaires du père qui ouvrent le journal mur et parapluie et dans les rares sourires de la mère, arrachés parfois à force de paroles doucereuses. Elle avait seize ans et un cousin qui était un véritable ami avec qui elle partageait de nombreux secrets. Il les quitta en un mois: leucémie foudroyante. Pendant deux ans elle devint funambule entre la vie et la mort, funambule silencieuse entre le rejet, la négation, et cette vie qui toujours... Mais un mot, un simple mot peut venir à bout des pires oscillations et colorer tout un passé obscur: Amour.

samedi 27 mars 2010

Examen

Ouf! La formation de conseiller en prévention est derrière le dos, l'examen aussi.
Formation très intéressante, public passionné, drolatique et stressé par les responsabilités qui attendent tous ces conseillers en herbe mais impatients de s'y atteler, formateurs indulgents, sympas, professionnels, plus différents les uns que les autres, de l'ingénieur industriel à la psy, en passant par la kyné et le chimiste. Ils détruisent les méthodes d'analyse les uns des autres, sans vergogne, le sourire aux lèvres et la fleur au fusil. Il faut dire que les matières qu'ils abordent sont aux antipodes tout en trouvant leur jointure dans l'humain qui travaille avec des machines, de la fatigue, des poses qui lui tordent le dos, qui mettent ses yeux et ses mains et sa vie en danger, avec des équipements qu'il refuse car trop chauds ou trop encombrants mais surtout depuis trente ans qu'il est dans le métier on va rien lui apprendre hein!
Participer à une formation est un véritable bonheur. Avoir la chance de se retrouver de l'autre côté du bureau, munie d'un carnet de notes et d'un stylo (Seigneur que les doigts sont gourds et malhabiles à l'heure d'écrire sans passer par le clavier: la gymnastique qu'on leur demande d'habitude ressemble davantage à une sonate pour piano qu'à ce cours de solfège où les notes s'alignent tels des petits soldats au garde à vous), saisir l'information, la restituer dans un nouveau contexte, l'analyser, la soupeser, comparer l'appréhension qu'on en a avec son voisin qui travaille avec des handicapés ou des enfants ou des morts ou dans le bâtiment, avec les voitures et les arbres aussi, c'est enrichissant, c'est une ouverture vers l'autre qu'on n'a pas tous les jours l'occasion de rencontrer. Puis vient le jour de l'examen. Plus de 15 ans sans passer d'examen, 15 ans vous vous rendez compte! Et votre employeur qui a investi dans cette formation alors si vous échouez... Un entretien d'embauche n'est rien par rapport à un examen. Les enfants m'encouragent, allez mam, t'es la meilleure, tu vas y arriver et ils parlent à voix basse et ils marchent sur la pointe des pieds afin de ne pas me distraire... Voilà donc 15 adultes en train de potasser des centaines de pages, d'échanger les derniers tuyaux, d'attraper des fous rires pire que des zados, de se lancer des vannes et de se retrouver finalement face à ces questions tant attendues. Horreur, terreur, rien ne correspond aux tuyaux, mais keskispas, si c'est pas de l'arnaque ça! "Je peux vous aider? N'hésitez pas, je vous donnerai quelques conseils!" Une question fuse et c'est le début de vastes débats concernant les différentes réponses possibles: on voit les notes glisser sournoisement sur un bureau, une copie s'étaler chez le voisin, des yeux rêveurs se perdre dans la blancheur d'à-côté, pour entendre le formateur rapporter au Directeur, le sourire aux lèvres: "Ils trichent comme des malades!". Oups, qui ne dit mot consent, n'est-ce-pas? Nous n'avons pas encore les résultats, mes avis que nous réussirons ou que nous raterons tous, la main dans la main! Pire que des zados je vous dis, mais tellement plus responsables!

Sur cette photo : Lucien Golinvaux, ardoisier empruntée sur ce site concernant Freÿr (très beau château à visiter si vous en avez l'occasion)

mardi 23 mars 2010

Le Cri


"Ah! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau?"
Baudelaire, le confiteor de l'artiste , petits poèmes en prose

"I Can't lie anymore. I want to scream. Look at me! Look at me!" Evelyn Waugh, Julia dans Brideshead revisited

I want to scream
I want to create
I want to scream
The Beauty unbearable Beauty
Consuming my blood
crying in me weeping in me
I want to scream you Beauty
I have to deliver my soul of you
Hindering spirit
I am haunted by you
Go go and be yourself
With my blood with my skin
But BE
You have to exist outside
Alive
Look at me look at me
And have mercy
Listen to my scream
With wounds in my eyes
I beg your mercy
Deliver deliver my soul.

Autre petit poème exhumé d'un tiroir très poussiéreux.
Le cri d'Edvard Munch.

samedi 20 mars 2010

insignifiances - "Fire" Bruce Springsteen



Paroles, paroles, paroles.... Famille, famille, famille...
Rires d'enfants qui débordent de la maison, fondue savoyarde où les gages succèdent aux combats, des blagues, des rires encore, des pompes à deux mains, "et ça", une main, "et ça et ça", sans les mains "et ca, et ça, et ça", font place aux vestiges d'une nuit trop courte nourrie d'amitiés et de visages trop proches qui m'agressent dans mon espace et mon intimité, je recule et recule encore, conversations où priment l'intérêt pour l'autre et le désir de confier une détresse au détour d'une phrase, une déception issue d'une nouvelle inattendue, de raconter un job perdu et l'estime de soi aussi, échanges qui s'achèvent dans un silence blanc, on cherche une excuse pour aller au-devant de nouveaux visages avenants, musique trop bruyante, connaissances retrouvées, trop chaud, la tête tourne, les joues en feu, la pluie crépite et arrose les fumeurs et amateurs de fraîcheur, les hanches ondulent au rythme de Bruce, rentrons, rentrons maintenant... Envie de vivre en noir et blanc.

dimanche 14 mars 2010

"Sept oasis des mers" de Damien Personnaz



"Je me sens loin de tout. J'éprouve la même satisfaction que Rimbaud, exilé volontaire au milieu du désert de Danakil en Ethiopie, trafiquant des armes en pensant à sa maison sur les collines à Harar. Personne sur terre ne sait où je suis, j'ai réussi à disparaître des radars de mes proches, un choix délibéré et provisoire qui me procure une force extraordinaire. Je suis ici, survolant le Pacifique, en Micronésie, seul et en bonne santé, à des milliers de kilomètres des miens lesquels m'accompagnent seulement dans les pensées." sept Oasis des mers
Ces jours-ci, j'ai voyagé d'une île à l'autre en compagnie de Damien, partageant ses découvertes, l'histoire et la topographie des bouts de cailloux sur lesquels il atterrissait, me prélassant au bord de coraux et de poissons plus colorés les uns que les autres, écrasant un crabe, courant sous les pluies diluviennes et quotidiennes, transpirant sous l'effort et la peur dans les bois où nous tournions en rond. A la moitié de l'aventure, je l'ai recommencée, car les souvenirs commençaient à s'entremêler, écheveaux de laine trop sollicités, les visages à se superposer et il me fallait les graver davantage dans ma mémoire. Ces îles paradisiaques, qui étaient une quête à part entière, mais l'étaient-elles vraiment, se muaient en quête des autres et de soi-même.
Damien se dit timide, mais nul ne s'y trompe. Pourquoi tant de personnes viennent-elles se livrer à lui? Pourquoi lui font-elles confiance? Pourquoi déverser douleurs, amertume, projets et espérances chez lui? Parce qu'il est amoureux des îles? Parce qu'il a un poste en vue à l'Unicef? Parce qu'il est journaliste? Ou tout simplement parce que l'homme est réceptif, ouvert et compréhensif, à l'écoute et à la recherche de l'autre et de sa différence qui en fait quelqu'un de semblable d'ailleurs. Où que nous soyons sur cette terre, la tête à l'endroit ou la tête à l'envers, en Europe ou sur un bout d'île dans le Pacifique, nous connaissons les mêmes angoisses pour notre progéniture, les mêmes amours et désamours, les mêmes peines et les mêmes joies.
Ne vous attendez pas à lire une description détaillée des îles. Elle y sera, Damien n'est pas un amateur et il prépare ce voyage depuis son enfance. Mais son livre recèle bien plus que cela. Il dévoile l'histoire des insulaires, l'histoire des hommes, l'histoire de Damien aussi. Au cours de ce périple il sera confronté à des crises de solitude, il affrontera doutes et tourments. Ce voyage qui comptabilise plusieurs mois et des milliers de kilomètres sera décisif dans sa vie. Il lui fera prendre conscience de l'essentiel et choisir la vie dont il a toujours rêvé.

mercredi 10 mars 2010

Fumer


Les jours jaunes, verts et bleus alternent avec les réminiscences blanches de l'hiver et la grisaille humide de nos giboulées. L'obscurité perd du terrain, la lumière et le chant des oiseaux soulèvent nos paupières avant que ne commencent les travaux publics de la rue, les visages rosissent, les regards s'animent, les corps se tonifient; malgré le froid, le printemps a bel et bien pris ses quartiers chez nous.
Pour la première fois depuis que nous avons arrêté de fumer (trois ans et trois mois), j'ai éprouvé un sentiment d'allégresse. Alors que d'habitude, je suis heureuse de ne plus être dépendante de cette *merde*, ne plus passer l'hiver à soigner mes bronchites, ne plus vivre dehors ou sous la hotte de la cuisine, voir mes deniers s'envoler en fumée, rabrouer les enfants en leur demandant d'attendre que je termine ma cigarette, devenir dingue parce que tous les paquets sont désespérément vides et les magasins de la terre entière fermés ou en rupture de stock, avoir honte parce que ma fille de deux ans et demie demande à la caisse si j'ai besoin de "clopes" en désignant la marque que je fume, pire encore quand j'affiche le ventre rebondi d'une heureuse et fumeuse grossesse... pour ces raisons et tellement d'autres je suis heureuse d'avoir arrêté de fumer. Malgré tout il y a toujours en filigrane ce petit soupir: "ah, si je pouvais en fumer une ou deux par jour sans plus"!, ah, la cigarette qui accompagne une discussion passionnante, les yeux rêveurs suivant les volutes de fumée, celle qui accompagne le verre de vin ou la tasse de café en un geste séduisant, la récompense tellement méritée après chaque activité, celle du soir et celle du matin, celle qui détend et celle qui réconcilie, celle qui accompagne les éclats de rire et celle qui console, elles ont toutes un sens les cigarettes, alors comment ne pas ressentir ce petit pincement quasi insaisissable mais latent... Cette fois-ci, en entendant pour la nième fois la toux grasse de mes collègues, je me suis sentie LIBRE. Non pas libérée, mais réellement, profondément libre, légère, détachée, aérienne. Non pas un sentiment relié au passé mais tourné vers l'avenir, positif, ouvert, prometteur. Cette béatitude physique qu'on peut ressentir quand on boit son litre et demie d'eau et qu'on fait un sport qui améliore la condition physique, suivi des caresses et des senteurs d'un hammam, conjugué à l'élévation de l'âme et de l'esprit, une lecture enrichissante, une sonate émouvante, une toile qui n'en est pas une parce qu'elle est tout simplement, une conversation où on réalise que le bien existe, c'est tout ça à la fois que j'ai ressenti à propos de la cigarette. Alors, oui, definitely, je ne fume plus.

photo de Dam, sur mon chemin, toujours avec beaucoup d'admiration.

samedi 6 mars 2010

l'ami de l'enfant

-Ze peux faire une photo mam?
-Oui, Loulou, essaie de ne pas bouger quand tu prends la photo. (depuis le numérique, c'est une permission qui est plus facile à accorder...)
-D'accord. Ze vais faire une photo de mon seval. Pas bouzer hein, seval, pas avoir peur. Clic, voilà, même pas mal aux yeux!


Ce destrier qui depuis le berceau l'entraîne vers les rêves les plus fous, subit ses essais d'équilibriste, berce ses lectures et accompagne ses chansons, sert de confident ou d'escabeau, est immortalisé par cette belle photo non retouchée que notre artiste en herbe a prise cette semaine. Tel le Quichotte, la cape au vent et l'épée au ciel, il pourfend les méchants et libère ce que la terre compte de malheureux.

Le Quichotte, Place d'Espagne à Bruxelles

mercredi 3 mars 2010

Voyages

"Un rêve de voyage, c'est déjà un voyage" Marek Halter

le rêve est à l'homme ce que le ciel est à l'oiseau.
Le voyage projette l'homme dans une réalité autre, où il se révèle différemment.
Le voyage intérieur n'est pas un envol mais une plongée au coeur de l'être.
Le voyageur en ressort riche d'une connaissance qui donne des ailes.

Damien écrit dans son journal:"Je suis Damien tel que je veux être: aimable, souriant, tranquille, le coeur léger, l'âme apaisée, avec des envies simples. Je suis serein."
Cette phrase me laisse songeuse. Heureuse qu'il ait trouvé une telle sérénité mais perplexe aussi: que vient y faire la volonté ? Est-ce réellement à force de volonté qu'on atteint le sourire de l'apaisement ? L'intervention de la volonté est-elle au contraire le signal qu'il s'agit d'un état bien précaire?
Ne dirait-on pas plutôt que l'abandon et l'acceptation seraient les vecteurs essentiels de la sérénité? Sans tomber dans le fatalisme, il me semble que le chemin qui se dessine entre les efforts soutenus pour améliorer les choses et l'acceptation de sa propre réalité peut y conduire. Je m'y promène et je reviendrai vous raconter...

photo empruntée à Dam, sur mon chemin...