Jamais. Elle n’écrirait.A la troisième personne.
Elle n’écrirait jamais de roman. Elle n’écrirait jamais à la troisième personne.
Ecrire est un souffle vital qui l’habite depuis toujours, comme ce poème qu’elle écrivit dans une autre vie, lorsqu’elle n’était personne, pas même la troisième.
Elle écrit comme on regarde une toile, comme on entend le rythme des sabots les doigts qui pianotent les dents qui claquent, comme on assemble les mots pour leur couleur et leur saveur. Elle avait été une ombre et n’était plus personne. Elle s’en alla loin, au pays des Grands et du soleil dur, de l’ascèse et de la bonne chaire, du devoir et du lendemain.
Elle n’était personne jusqu’à sa venue. Elle appréciait leurs discussions où les idées antagonistes s’entrechoquaient dans les éclats de rires. Elle écoutait ses enseignements, tentait de se concentrer sur de nouvelles lectures, enveloppée par sa sollicitude, portée par sa bienveillance. Lentement, elle se mit à écrire. Ecartant les poncifs redondants, elle délia langue et plume et endossa la troisième personne.
Elle décida alors de s’en aller, de quitter ce pays où elle avait appris l’amitié et la beauté. De troisième elle était devenue personne à part entière. Elle souhaitait écrire un roman mais ne l’écrirait jamais à la troisième personne.
Elle devint la deuxième personne pour l’autre.
Ecrire c’est accoucher, lui avait-on dit.
Elle enfanta non pas un roman mais la chair de sa chair. Elle enfanta trois fois. Elle était la première et la deuxième personne à la fois. Et il vit qu’elle était heureuse.
Le jardin est dévasté mais n’est nullement le reflet de nos humeurs. Dans une ambiance recueillie, nous communions à un même bonheur tranquille, loin des tensions et des disputes qui trop souvent envahissent nos murs, occasionnées par la fatigue et le trop plein de travail qui puise toujours plus d’énergie. La lumière tamisée traduit notre sérénité. Une plus grande présence s’est peu à peu installée au cœur de notre foyer. Cependant, un peu de mélancolie vient parfois m’habiter, lorsqu’un sentiment de solitude m’envahit, malgré tout ce que j’ai reçu, malgré la force qui m’habite et me fait aller de l’avant, confiante, sûre que tout est bien.
Je ne sais pas raconter les autres. Je ne sais parler que de ce que je connais.
Et je me souviens. Je me souviens de cette petite fille qui dès l'aube, réveillée par le bêlement des moutons et le croassement des grenouilles, s’habillait à la hâte et vêtue de son seul short et de claquettes aux semelles de bois, courait torse nu dans l’herbe haute. Elle retrouvait ses arbres et ses fleurs, connaissait leur nom et leur vertu. Puis elle se réfugiait dans leurs bras ou sur le toit pour retrouver ses héros de papier.
Cette petite fille aura quarante ans dans quelques heures. Si jeune et si âgée déjà, la fin et le commencement…
Photos empruntées à "voir ou regarder", avec toute mon admiration et mes remerciements.
