dimanche 10 octobre 2010

Noir - "Les dessous de table" de Nicole Versailles I



Les enfants sont au lit, nous vaquons tous deux à nos occupations, je pianote en vitesse, le journal masque son visage concentré. Brutalement, c'est le noir intégral, accentué par un silence absolu; les machines se taisent, seul brille l'écran de mon ordinateur qui semble ramener à lui toute la froide lumière électrique. Après quelques secondes, je me lève, me heurte à une chaise qui a oublié de rejoindre sa place sous la table, tâtonne pour trouver des allumettes (maintenant que nous ne fumons plus, elles se font plus rares) pendant qu'Amaury rejoint les voisins qui sortent en pyjama (si si, c'est véridique) ou soulèvent peu discrètement les voiles sensés protéger leur intimité. Panne de secteur. Les uns après les autres font des tentatives d'appel chez E*****bel (le helpdesk ne travaille pas en-dehors des heures de bureaux) pour se rabattre en désespoir de cause sur le bureau de police le plus proche, aussi outré que ses voisins dans le noir mais tout aussi impuissant.
L'ambiance silencieuse doucement illuminée par les flammèches dansantes des bougies me semble propice pour pénétrer dans l'univers de Nicole Versailles. Ses nouvelles me sont parvenues le matin même, je me pourlèche les babines à l'idée de découvrir le menu surprise. Je ne suis pas déçue par mon étape gastronomique. Quelques pages suffisent pour vous emmener d'une situation à l'autre, situation qui est banale, très, elle pourrait vous arriver, ou m'arriver à moi aussi , elle s'est peut-être déjà présentée ou me pend sous le nez ou celui d'un des miens, bref, du réalisme de chez vous ou de chez moi, mais terrible, prenant, douloureux, dramatique, vivant, bien vivants, cet homme et cette femme qui sont mari et femme pour un jour grâce aux effets magiques d'une simple fève, l'autre dont on prépare les quatre-vingt ans de bien différentes manières, la petite vieille dont les pertes de mémoire trahissent gestes et secrets, les jeunes dans un café qui construisent le monde et sont détruits par celui-ci, ce gamin dont la mère ne répond pas, cette femme dont les paroles fortes sont prononcées en silence, l'amant transi et jaloux, fou de jalousie, fou de rage, fou d'amour, fou toujours... et tellement normal.... si banal et si dramatiquement humain! Voilà ce qu'offre Nicole dans l'intimité de mon salon obscur et feutré, ces premiers chapitres qui m'entraînent d'une vie à l'autre avec brio: je suis tour à tour chacun de ses personnages, j'ai mal avec eux, je m'emballe comme eux, mais la lumière est revenue et il est temps que je remise ces chapitres de vies jusqu'à demain.

Sans titre de Rothko noir, rouge sur noir sur rouge,1964

8 commentaires:

  1. Quelquefois on lit le mieux à la lumière des bougies dans une panne d'électricité, si on n'est pas affolé par les voisins. Bonne lecture.

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  2. Les coupures de courant sont monnaie courante ici, au moindre coup de tonnerre, hop, ça y est. Du coup, sans autre distraction possible, sans musique ni télé ni fer à repasser ni...la concentration sur la lecture est maximale!
    Ces nouvelles du quotidien tu les présentes si bien qu'on les dévorerait derechef!

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  3. oups dis donc Delphine... mon prénom avec un "s"
    Suis comme Colo moi, ces nouvelles tu les présentes de telle façon qu'on a envie de les lire!!!
    Faut pas que je rate ça;-))

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  4. Go: Tu as raison, c'était un moment privilégié. Merci.

    Colo: Quel bonheur, tant que tu ne t'en lasses pas, bien sûr. Dévore-les, mais pas trop vite de peur d'avoir une indigestion. Il faut quand même prendre le temps d'en saisir les saveurs variées, parfois sucrées, parfois pimentées.

    Coumarine: où ça? C'est malin, j'ai corrigé, et dans le titre en plus, pfff ça ne la fait pas. Sans doute Versailles qui a transpiré sur Nicole. Lis-les avec les yeux d'un parfait inconnu, je suis certaine que tu apprécieras :-) Merci.

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  5. Comment un livre s'inscrit dans un autre livre, comment une émotion naît d'une autre émotion, comment une vie palpite dans une autre vie. Ce ne sont pas là les effets d'une métamorphose mais ceux d'un emboîtement ou mieux d'un enchâssement.

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  6. C'est chouette les coupures de courant ... en général, on dit qu'il y a un baby boom 9 mois après, grace à toi, il y aura aussi une recrudescence des ventes du livre de Coum. :)

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  7. J’aime beaucoup ta petite nouvelle, et je constate que le problème de la page blanche est une histoire ancienne, ton tallent étant totalement revenu !
    Ton histoire m’a fait réfléchir et j’ai essayé de m’imaginer dans la même situation.
    Voilà : « Comme je lis tout le temps, surtout le soir dans mon lit, en cas de coupure de courant, je pose mon bouquin, j’allume la lampe de poche facile à trouver, et grâce à sa clarté, je trouve une bougie et bats le briquet. J’ai subitement envie d’un thé, mais je suis « au tout électrique » ZUT ! Pas de panique, il y a un camping-gaz quelque part … Voilà ! Je prends ma bougie et une belle flamme bleue accueille ma casserole d’eau … Mon thé fume dans ma tasse, un petit biscuit l’accompagne et … La lumière envahit mon habitat … Je retourne au lit et reprends mon livre ! »
    Bonne nuit Delphine ! Oh non ! Pardon ! Nous sommes au petit matin, aussi je te dis Bonjour !!!
    Bisous Delphine et à bientôt !!!
    Florence

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  8. Armelle: j'aime le mot "enchâssement", merci Armelle.

    ms: tu me fais sourire: la coupure de courant a duré pas mal de temps je t'avoue, mais Amaury palabrait dans la rue, rien à imaginer donc :-) Par contre, j'espère bien que ce sera le CoumBoom

    Florence: la page blanche n'est certes pas mon lot quotidien, les sujets plus ou moins intéressants se bousculent sous mes doigts. c'est plutôt le manque de temps qui m'empêche d'être plus régulière. J'aime beaucoup ta façon de vivre les coupures de courant: la lampe de poche sur la table de nuit comme le canif dans mon sac à main, la bougie et les allumettes à portée de main, le désir d'une bonne tasse de thé odorant poussant à farfouiller pour retrouver le camping gaz... jusqu'où iras-tu pour que ta soirée soit douce? Merci de partager ces projections avec nous. Bonne soirée Florence.

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