mercredi 3 août 2011

Lectures: "Murambi, le livre des ossements" Boubacar Boris Diop et "Une enfance africaine" de Stéphanie Zweig

photo trouvée quelque part sur la toile

Les vacances sont synonymes de repos, de découvertes, de parfums inédits, de saveurs nouvelles, de lectures. Comme je m'en voulais de n'avoir pas pris le temps de préparer celles-ci! Je fis donc confiance au présentoir de la bibliothèque. Ce furent de bonnes surprises.
Le roman d'Antonio Munoz Molina me tomba cependant assez rapidement des mains, tant je ressentais de frustration à le lire dans sa traduction.
Siri Hustvedt, avec "tout ce que j'aimais" est resté en attente.

J'ouvris "Murambi, le livre des ossements" de Boubacar Boris Diop pour ne plus le refermer. J'ai cependant été tentée de le laisser à plusieurs reprises, tant certains passages en étaient éprouvants. Ils l'étaient davantage par l'évocation que par la description. Évocations chantées, criées, marmonnées par ces victimes du génocide rwandais, toutes blessées dans leur chair, dans leur coeur, dans leur intelligence ou dans leur âme. Mais en filigrane on décèle une étincelle d'espoir, résumée par un sage du livre des ossements:

"C'est bien de se rappeler certaines choses. Cela aide parfois à trouver son chemin dans la vie. (...) On sait quelles épreuves il a fallu surmonter pour mériter de vivre. On sait d'où on vient."
Et l'auteur dans sa post-face:

"Le devoir de mémoire est avant tout une façon d'opposer un projet de vie au projet d'anéantissement des génocidaires et le romancier y a son mot à dire."
J'ai continué à parcourir les chaudes terres africaines en compagnie de Regina Redlich. Regina est une enfant juive allemande, contrainte de fuir cet autre génocide. refugiée au Kenya avec ses parents, elle évoque son attachement à cette terre d'accueil qu'elle aura immédiatement dans la peau. De la première page à la dernière, l'auteure de cette autobiographie nous entraîne dans une ronde d'images et de métaphores plus savoureuses les unes que les autres, nous plongeant au coeur de l'âme africaine. ce livre est un chant, un chant d'amour où la vie est magie et sagesse tout ensemble.

"Une enfance africaine" de Stépahie Zweig

"-Tu me donnes ton manteau, Bwana?
-Ce n'est pas un manteau, c'est une robe. Un homme comme toi doit porter une robe.
Owuor essaya aussitôt de prononcer le mot nouveau. Comme il ne venait pas de la langue des Jaluo et que ce n'était pas non plus un mot swahili, sa bouche et sa gorge éprouvèrent de grosses difficultés. La memsahib et l'enfant se mirent à rire. Rummler ouvrit lui aussi une large gueule, mais le bwana qui avait envoyé ses yeux en safari était comme un arbre trop petit encore pour abreuver sa cime à la fraîcheur de vent.
-Robe, dit le bwana, il faut répéter le mot souvent et tu sauras le prononcer aussi bien que moi.
(...)-Owuor, c'était ma ma robe avant que je devienne un bwana. Je portais la robe à mon travail.
-Robe, répéta Owuor, heureux que le bwana ait enfin compris qu'il fallait dire deux fois les mots agréables."

"Quand le bwana parlait de la guerre, il parlait aussi toujours de son père. Alors, il ne regardait jamais Kimani; il tournait ses yeux vers la haute montagne, mais il ne voyait ni le sommet, ni la neige. Il parlait avec la voix d'un enfant impatient qui veut avoir la lune le jour et le soleil la nuit, et il disait:
-Mon père meurt.
Ces paroles étaient aussi familières à Kimani que son propre nom et, même s'il se donnait beaucoup de temps avant d'ouvrir la bouche, il savait ce qu'il avait à dire. Il demandait:
-Ton père veut mourir?
-Non, il ne veut pas mourir.
-Un homme ne peut pas mourir s'il ne le veut pas, répondait Kimani à chaque fois.
Au début, il avait montré ses dents en parlant, comme il le faisait toujours quand il était heureux; pourtant, avec le temps, il avait pris l'habitude de faire sortir un soupir de sa poitrine. Ça le tracassait que son bwana, un homme qui savait tant de choses, ne soit pas assez intelligent pour comprendre que la vie et la mort n'étaient pas l'affaire des humains, mais seulement celle du puissant dieu Mungo.
Plus encore que les journaux, avec leurs images de maisons détruites et d'hommes morts, il voulait que son bwana lui montre des lettres. A l'arrivée du bwana à la ferme, il croyait qu'une lettre était semblable à une autre lettre. Maintenant, il n'était plus aussi bête. Elles n'étaient pas comme deux frères sortant ensemble du ventre de leur mère. Les lettres étaient comme des hommes, jamais pareilles.
Ça dépendait des timbres. Une lettre qui n'en avait pas n'était qu'un morceau de papier et ne pouvait pas partir en safari, même un tout petit. Un timbre seul, avec l'image d'un homme aux cheveux clairs et au visage de femme, parlait d'un voyage que l'on pouvait faire avec ses pieds. C'était le genre de lettres que Kimani rapportait souvent de la duka de Patel. Elles venaient de Gilgil et c'étaient les lettres du bwana qui faisait danser son gros ventre quand il riait et qui avait une memsahib qui chantait mieux qu'un oiseau. (...)
Kimani savait qui avait écrit la lettre avant que le bwana le lui dise. Les yeux de son bwana brillaient comme de jeunes fleurs de lin quand les lettres étaient de la petite memsahib et sa peau ne sentait jamais la peur. (...) Et il y avait un timbre qui, à lui seul, était capable, plus que tous les autres ensemble, de mettre le bwana en feu. (...) Kimani aimait regarder longuement ce dernier timbre. L'homme paraissait vouloir parler et avoir une voix capable de rebondir avec force contre la montagne. Dès que le bwana apercevait ce timbre, ses yeux devenaient des trous profonds et il devenait aussi raide qu'un homme qui a oublié comment on se défend et qui se retrouve en face d'un voleur fou de colère qui le menace d'une panga fraîchement effilée."

7 commentaires:

  1. C'est une somptueuse plongée dans le cœur de l'Afrique que tu nous proposes là. Une lecture bien grave et bien sérieuse pour emporter sur la plage! mais des lignes envoûtantes qui donnent envie d'aller plus loin.
    Je suis très impressionnée par tes choix de lecture, moi qui aurait tendance à préférer des choses plus légères.
    Je t'embrasse affectueusement
    Cel

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  2. Zweig, un auteur que j'apprécie de plus en plus...et je ne connaissais pas cette "enfance africaine"...superbe extrait, un langage si imagé, poétique.
    Merci Delphine, je fonce le commander.

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  3. Bonsoir,

    J'ignore si c'est la Delphine qui a déposé un message sur mon blog, car le lien de fonctionnait pas, alors je suis allée voir chez Célestine. En tout cas, je découvre un riche répertoire de lecture, à garder dans mes favoris.
    Merci et à bientôt
    Zénondelle

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  4. Coucou Delphine !
    Je souffre moins et je pense pouvoir reprendre la vie normale !
    Oui, comme j'étais bien à la campagne ! Mais les bonnes choses ont toujours été éphémères pour moi. Bah ! j'ai un petit jardin, il ne faut pas que je me plaigne, cela pourrait être bien pire !
    Je ne suis pas du tout "Afrique" c'est une région du monde qui ne me tente pas !
    Je me suis arêtée avant Gibraltar !
    Gros bisous Chère Delphine !
    Bonne fin de semaine !
    Florence

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  5. Célestine: une belle lecture, peu importe qu'elle soit grave ou légère... Ne te méprends pas: je viens d'achever "Le mec de la tombe d'à côté", mille fois conseillé, mais j'avoue... je l'ai détesté. Cela m'arrive rarement, mais j'ai vraiment eu le sentiment de perdre mon temps.

    Colo: tu ne seras pas décue, cette poésie est un peu tienne aussi...

    Zénondelle: bonjour et bienvenue ici. Ca doit être moi, si vous le dites. Bonne lecture et à très bientôt.

    Florence: nous ne sommes pas tous obligés d'aimer les mêmes choses... J'espère que tu es toujours dans une bonne phase et que tes souffrances s'atténuent. A très bientôt.
    delphine

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  6. Bonsoir Delphine. Merci pour votre visite qui me permet de découvrir votre blog. Ce livre a l'air passionnant et je vais l'ajouter à ma liste de livres à lire.
    Brigitte

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  7. Brigitte: bienvenue et merci pour votre visite. Vous faites bien de le rajouter à votre liste, c'est un bijou. A bientôt!

    delphine

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